En effet, l'ancienne gloire du Brésil expose sa crainte que l'histoire se répète par rapport à l'équipe de Luiz Felipe Scolari. "Je veux positiver et croire que la victoire est possible", annonce-t-il.
Pelé, la Coupe du Monde de la FIFA fait son grand retour au Brésil, 64 ans après. Quel est votre souvenir le plus marquant de cette expérience aigre-douce de 1950 ?
J'ai beaucoup de très bons souvenirs liés au football mais il se trouve que le premier d'entre eux l'est beaucoup moins, puisque c'est précisément la défaite du Brésil en Coupe du Monde cette année-là. Pour la première fois, j'ai vu mon père pleurer, à cause de cette défaite. J'avais neuf ou dix ans. Il était à côté de la radio. Je lui ai demandé : "Pourquoi tu pleures, papa ?". Il m'a répondu : "Le Brésil a perdu le Mondial". C'est l'image qui me reste de 1950. Mais huit ans plus tard, j'étais en Suède et j'ai gagné le titre. J'ai disputé quatre Coupes du Monde et j'en ai gagné trois, la dernière en 1970. Je peux dire que Dieu m'a tout donné.
Comment cet épisode avec votre père a-t-il marqué votre carrière professionnelle ?
J'étais avec trois ou quatre amis, les enfants de coéquipiers de mon père, qui était lui aussi footballeur. À cette époque, il n'y avait pas la télévision. C'est pourquoi il avait invité tout le monde à la maison pour écouter le match à la radio. Nous, les enfants, nous sommes allés jouer dans la rue. C'était très animé. Il y avait beaucoup de monde mais plus tard, tout est devenu très silencieux. Nous sommes rentrés à la maison pour demander ce qui se passait. Mon père était en train de pleurer. Il m'a dit que nous avions perdu. Je me souviens lui avoir dit, pour plaisanter : "Ne pleure pas papa, je vais la gagner pour toi, la Coupe du Monde". J'ai dit la première chose qui me passait par la tête, mais huit ans plus tard, j'ai été convoqué en sélection et nous avons gagné le titre.
Comment cette défaite inattendue contre l'Uruguay a-t-elle affecté le pays ?
J'étais petit et c'est la première fois que j'ai vu autant de gens déprimés, autant de gens pleurer… On raconte que deux ou trois personnes sont mortes de crise cardiaque. J'étais jeune, mais le souvenir que j'en garde est celui d'une tristesse absolue. Il n'y a aucun doute là-dessus.
Si Pelé était né quelques années plus tôt et avait disputé cette Coupe du Monde de la FIFA, y aurait-il eu un Maracanazo ?
(rires) Naturellement, on essaie toujours d'obtenir le meilleur pour ses proches et pour sa famille. Si j'avais pu choisir, j'aurais demandé à Dieu de me faire naître quelques années plus tôt pour aider le Brésil et éviter ce qui s'est passé...
Le gardien Barbosa a été durement critiqué pour le but d'Alcides Ghiggia, qui a offert la victoire à l'Uruguay. Vous souvenez-vous de cela ?
J'ai vu des interviews avec lui plus tard. Il raconte que les gens l'ont véritablement crucifié pour ce but. "J'ai joué beaucoup de matches en sélection et nous avons atteint la finale en partie grâce à tous mes arrêts. Et maintenant, les gens m'accusent pour un but", disait-il. C'est regrettable, mais c'est la vie. Malheureusement, les supporters sont très émotifs et ne veulent rien d'autre que la victoire. Quand vous perdez, parfois ils vous critiquent. C'est comme ça.
Ghiggia, l'homme qui a fait pleurer votre père, était présent au Tirage au sort final de Brésil 2014. Comment se sont passées les retrouvailles ?
Je l'avais déjà vu deux ou trois fois avant le tirage. Logiquement, nous avons parlé de ce match, de ma situation et de la sienne ce jour-là. Il m'a répété que ni lui-même, ni aucun de ses coéquipiers ne pensait pouvoir battre le Brésil. Le Brésil était la meilleure équipe et avait gagné tous ses matches facilement. "Pour nous, ce fut un miracle, nous ne nous attendions pas à ça", m'a-t-il dit. En fait, les Brésiliens non plus ne s'attendaient pas à ça.
Et huit ans plus tard, vous gagnez le titre vous-même. Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience ?
Ce fut une autre surprise. À 15 ans, j'ai participé à un tournoi à Rio, avec une équipe réunissant des joueurs de Santos et de Vasco Da Gama. Nous avons disputé quelques rencontres internationales au Maracanã et c'est après cela qu'ils m'ont choisi. Je ne m'y attendais absolument pas ! Ce fut une surprise pour tout le monde, pas seulement pour moi.
Si vous deviez comparer votre première et votre dernière consécration, en 1958 et 1970, quelle serait votre analyse ?
La réponse est facile. J'ai joué quatre Coupes du Monde et nous avons eu la chance d'en gagner trois. Tout le monde me demande s'il est difficile de disputer un Mondial à 17 ans. Ma réponse est toujours la même : je voulais être dans l'équipe. Ce fut vraiment comme un rêve car nous avons gagné et en plus, je ne ressentais aucune espèce de responsabilité. En 1970, j'étais à mon meilleur niveau. Nous avions une grande équipe. Ce fut ma dernière Coupe du Monde. Mais si je la compare à la première, dans laquelle je n'avais aucune expérience, je dois dire que celle au Mexique a été beaucoup plus difficile. Nous avions une équipe formidable et donc, tout le monde nous donnait favoris. Ça me faisait trembler. J'étais très nerveux. La pression était énorme. Les gens l'ont peut-être oublié, mais la situation politique au Brésil n'était pas bonne et nous avions le sentiment d'être obligés de gagner cette Coupe du Monde. Grâce à Dieu, nous avons réussi. Voilà la principale différence.
Les choses ont-elles beaucoup changé depuis ?
Oui, c'est incroyable, surtout du point de vue des moyens de communication. En 1958, nous n'avions pas la télévision ni les nouvelles technologies. Je voulais parler à mon père pour lui dire que nous avions gagné la Coupe du Monde. Pour cela, nous avons dû aller dans un central téléphonique en Suède ! J'ai dit à mon père : "Papa, nous avons gagné le Mondial. Tu as vu ?". Il m'a répondu : "Non, je n'ai pas vu, mais j'ai écouté !". C'est une différence énorme. Aujourd'hui, le joueur qui marque un but peut envoyer une bise par le biais de la caméra. Nous, nous n'avions pas cette possibilité. Selon moi, c'est la plus grosse différence.
Il existe toutefois beaucoup d'images de la Coupe du Monde. Avez-vous eu l'occasion de les voir ?
Oui, ça m'est arrivé. On trouve facilement ces images en vidéo et les programmes de télévision les repassent souvent. Mais je vais vous avouer une chose : si je ne suis pas préparé, ces images me font toujours pleurer. Quand je vois ces joueurs, les gens qui me portent en triomphe, ça me remplit d'émotion… Je suis sensible !
Vous avez déclaré récemment que vous ne vouliez pas que vos enfants vous voient pleurer, comme vous avez vous-même vu votre père en 1950. Qui pourrait être l'Alcides Ghiggia de Brésil 2014 ? Lionel Messi ? Luis Suárez ?
Je le regrette, mais j'espère que personne ne répétera ce qu'a fait Ghiggia en 1950. Ce que nous espérons tous, c'est que le Brésil fasse une bonne Coupe du Monde, arrive en finale et, si possible, gagne le titre. Je ne veux pas me souvenir de ce qui s'est passé en 1950. Il faut avoir confiance et croire que la victoire est possible, parce qu'on ne sait jamais : le football est plein de surprises et ce n'est pas toujours le meilleur qui gagne. En 1982 par exemple, le Brésil avait la meilleure équipe, mais nous avons perdu contre l'Italie et nous avons été éliminés. Je ne veux pas spéculer sur les matches à venir. Je veux positiver et penser que le Brésil va gagner cette Coupe du Monde. C'est ça que je veux croire.
Source : Site FIFA
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