Il est sans doute le meilleur dribbleur de l’histoire du football allemand, lui c’est Pierre Littbarski. Du «haut» de ses 1m68, ce joueur aux jambes arquées est un vrai spécialiste de la Coupe du monde puisqu’il a eu la chance de disputer trois finales : 82, 86 et 90. Il en a bien évidemment perdu les deux premières, avant de soulever le trophée. Cette réussite sur le plan sportif n’a pas eu raison de sa modestie, de sa gentillesse et surtout de sa disponibilité, nous avons eu à le vérifier lorsque nous l’avons rencontré, hier, à l’hôtel Ritz Carlton de Wolfsburg. Sans détour et sans la moindre démagogie, il a répondu à toutes nos questions, notamment les plus sensibles, celle relatives à ce fameux match de la honte entre l’Allemagne et l’Autriche dont le résultat a empêché l’Algérie de goûter à une qualification au second tour de la Coupe du monde, malgré ses deux victoires face justement à ces mêmes Allemands et contre le Chili. Littbarski a profité de cet entretien qu’il nous a accordé pour présenter à son tour ses excuses au peuple algérien. Par la même occasion, il n’était pas question de ne pas évoquer aussi ces retrouvailles algéro-allemandes, 32 ans après, prévues pour aujourd’hui. Bonne lecture…
Merci d’abord de nous accueillir dans ce somptueux hôtel du Ritz Carlton de Wolfsburg…
Tout le plaisir est pour moi.
On a peut-être l’honneur d’être les premiers Algériens à vous interviewer, non ?
Oui, c’est la première fois, en effet.
Qu’avez-vous pensé quand on vous a dit que des journalistes algériens voulaient vous interviewer ?
Tout d’abord, c’est toujours un grand honneur quand des journalistes pensent à vous interviewer. S’ils viennent vers toi, c’est surtout pour t’honorer. Et je devine que je dois cette interview à l’actualité du Mondial du Brésil, mais peut-être aussi à celui de 1982. (Il sourit).
Vous êtes déjà allé en Algérie avec le FC Cologne…
Oui, oui, c’est vrai, on a joué une fois avec le FC Cologne à Alger. Je me souviendrai toujours de ce match, notamment de ce que j’ai vécu après le match. J’ai été très agréablement surpris de voir autant de monde venir vers moi pour me montrer de l’affection et de la sympathie. J’étais loin de me douter que j’avais autant de fans. C’était une très bonne ambiance.
C’est vrai que les Algériens vous aiment beaucoup. Le réalisez-vous aujourd’hui encore ?
Oui, pour moi, c’est une grande surprise de savoir qu’il y a des gens qui me témoignent autant de sympathie, parce que je ne suis pas très au courant de l’actualité sportive en Algérie. J’étais vraiment surpris de savoir qu’on me connaissait autant en Algérie. Surtout que le football algérien est très technique. C’est peut-être la ressemblance avec mon style de jeu qui plaît en Algérie.
32 ans après ce fameux Mondial de 1982, nous voilà encore réunis. Qu’est-ce que cela vous fait de tomber encore sur l’Algérie ?
D’abord, je tiens à féliciter la sélection algérienne pour sa qualification au second tour. Ce n’est pas un succès qui me surprend personnellement, mais on ne doit pas minimiser un tel exploit. Et des deux, l’équipe allemande a la tâche la plus difficile, parce que l’Allemagne «doit» gagner et l’Algérie «peut» gagner. Là est toute la différence.
Croyez-vous au destin ?
Je crois que notre destin est écrit. J’ai suffisamment vécu au Japon pour savoir que le destin existe, mais surtout que l’homme a le pouvoir de donner un coup de pouce à son propre destin. Ce sont deux choses que j’ai apprises. (Il rigole).
Eh bien, il y a 32 ans, l’Algérie a été empêchée de passer au second tour du Mondial 82 à cause d’une combine entre Allemands et Autrichiens, et nous voilà aujourd’hui au second tour, prêts à prendre notre revanche sur ces mêmes Allemands… Ne voyez-vous pas là un signe du destin justement ?
A mon avis, c’est la situation qui rend les choses intéressantes, mais je ne pense pas que les joueurs actuels se souviennent de ce match. La plupart d’entre eux n’étaient même pas nés en 1982. Je crois que c’est beaucoup plus important pour la sélection algérienne, car c’est une bonne opportunité pour eux de prendre leur revanche.
La revanche concerne plus l’ancienne génération, en effet, mais elle se répercute aussi sur l’actuelle…
C’est vrai, ça concerne les anciens, mais les entraîneurs, le pays, le peuple ont tous le souvenir de ce Mondial 82. Et tous ces paramètres influent de manière directe ou indirecte sur le match de ce lundi et les joueurs d’aujourd’hui ont une tout autre motivation qui pourrait s’avérer positive.
Sincèrement Pierre, est-ce que l’Allemagne d’aujourd’hui a un peu peur de l’Algérie ?
Je ne sais pas si le mot peur est celui qui sied à ce match et cette situation. Hier encore, j’ai écouté les joueurs de la Manschaft et ils avançaient tous le mot «respect» concernant l’Algérie. Ils respectent naturellement les résultats arrachés par l’équipe d’Algérie et ils respectent surtout la qualité de jeu des footballeurs algériens qu’on ne connaissait pas en 1982. Je crois que, aujourd’hui, on a beaucoup plus de respect pour le football algérien qu’il y a 32 ans.
Il y a quatre ans, Tony Schumacher nous avait fait l’honneur d’assister au Ballon d’Or algérien et il nous a agréablement surpris par son courage en avouant que le match RFA-Autriche était combiné. Il a même demandé pardon aux Algériens…
Je dois d’abord avouer que c’est une chose fantastique de la part de Tony. Il y a 32 ans, il n’aurait jamais été capable de le faire. (Rire). Je crois que l’âge et la vie aident certains hommes à devenir plus relax. Je crois qu’on aurait pu trouver une solution plus sportive, je veux dire que les deux équipes auraient pu jouer plus en attaque en seconde mi-temps. Mais les Allemands sont très égoïstes. Ils ne pensaient qu’au second tour, quelle que soit la situation de l’Autriche ou de l’Algérie. En ce qui me concerne, je peux vous assurer que je n’ai rien à voir avec une quelconque combine. Je n’étais au courant de rien. Je n’étais qu’un gamin de 22 ans qui ne pensait qu’à jouer au football. En tout cas, je n’ai rien su de tout cela. Mais ça m’avait rendu vraiment triste d’apprendre que ça avait mal tourné pour les Algériens.
De notre côté en Algérie, on n’a jamais rien su de ce qui se tramait dans le vestiaire ou l’hôtel. Pourriez-vous nous en dire un peu plus, 32 ans après ?
Tout est possible à mon avis. Mais moi, je jouais en attaque et je ne jouais que devant. Et mon sentiment était que je constatais qu’en deuxième mi-temps, le jeu a changé et qu’on ne jouait plus en attaque. Le ballon ne nous arrivait pas devant. Mais même si tout est possible dans le football, je ne crois pas qu’on ait pris des mesures strictes avant le match. Ce genre de situation se passe généralement sur le terrain, au cours de la rencontre. Qu’un joueur dise à l’autre de calmer le jeu, d’aller doucement du moment que le résultat nous convient pour ce match. Pas besoin de se dépenser inutilement pour la suite du Mondial. Je sais que tout le monde se disait qu’il fallait garder le ballon longtemps et ne pas faire d’erreurs, mais j’avais aussi remarqué qu’on ne prenait pas beaucoup de risques. Mais personnellement, je n’ai pas vu ou entendu de choses suspectes qui m’amènent à dire qu’il y a eu complot.
Vous vous rendez compte aujourd’hui de la douleur dans laquelle ont été plongés le peuple algérien et les footballeurs de la sélection algérienne en 82 ?
Je peux totalement comprendre la frustration et la colère des Algériens. Je pense de manière émotionnelle et je jouais aussi de manière émotionnelle. C’est dire si je comprends leur douleur. Vous avez en face de vous un footballeur qui a perdu deux fois de suite la finale de la Coupe du monde. Le rêve d’un jeune footballeur est de gagner ce trophée suprême. Je ressens donc mieux que quiconque la douleur de se faire éliminer du premier tour, après deux victoires et six points au classement. C’est très douloureux de quitter le Mondial de la sorte et je m’excuse… très sincèrement je suis désolé. Mais j’espère que l’équipe et le peuple algériens auront la grandeur d’esprit de passer l’éponge et de regarder devant.
Vous avez reparlé de cette histoire de 82 avec vos anciens coéquipiers ?
En premier lieu, je crois que tout le monde était content d’être qualifié au second tour. Comme je disais, les sportifs allemands sont des êtres très égoïstes quand il s’agit d’atteindre la finale et de gagner, mais ils n’ont réalisé ce qu’ils ont fait qu’après avoir vu le classement du groupe. Tout le monde était désolé de voir l’Algérie se faire éliminer avec un total de six points.
L’Algérie n’a pas gagné trois Coupes du monde et n’a même pas encore perdu deux finales, mais on a également nos héros et ceux qui vous ont battus en 82 font partie des plus chers à nos yeux. Que reste-t-il de ce match sur le terrain entre vous les joueurs ?
Pour moi, c’était mon premier Mondial et mes premières sélections avec la Manschaft. On était beaucoup plus concentrés sur notre équipe et on ne savait quasiment rien sur l’Algérie. On aurait pu avoir une meilleure préparation. J’étais très surpris de voir à quel point les joueurs algériens étaient rapides. Le ballon circulait très vite entre leurs pieds. Ils ne gardaient pas le ballon et le transmettait vite entre eux. C’était une équipe très offensive. C’était vraiment surprenant. Ils avaient une impressionnante rapidité d’exécution. Techniquement, ils étaient très bons à tous les niveaux et on avait vraiment très peu de chances de leur marquer. On était totalement surpris par la force de leur jeu.
Certains de vos anciens coéquipiers avaient pris de haut les Algériens, notamment en annonçant que le quatrième ou cinquième but, ils le dédiaient à leur femme, leur jardinier ou même leur chien. Quelle était la version réelle des faits côté allemand ?
Sincèrement, je ne me rappelle pas qu’on s’était comportés de manière aussi arrogante, mais je dis surtout qu’on aurait pu se préparer beaucoup mieux pour ce match contre l’Algérie. On aurait pu avoir une idée plus précise sur la force des Algériens.
Jupp Derwal en tout cas avait dit : «Si on perd le match contre l’Algérie, je prendrai le premier train pour rentrer chez moi»…
Je suis un homme d’un caractère différend. Si j’avais dit une chose pareille, ce que Jupp Derwal est supposé avoir dit, ça voudrait dire que je n’aurais pas de respect pour mon adversaire. J’ai assez vécu au sein d’autres cultures pour comprendre qu’il n’y pas de sous-hommes. Et si quelqu’un de nous a dit un mot qui aurait pu blesser les Algériens, je tiens personnellement à m’excuser à sa place et au nom de tous mes coéquipiers.
On va peut-être vous embêter avec cette histoire, mais on tient beaucoup à savoir ce qui s’est dit en Allemagne. D’où leur venait cette arrogance envers les Algériens ?
Il faut garder en tête constamment ces deux éléments : le peuple allemand attend de nous qu’on gagne toujours et c’est à nous de trouver la bonne stratégie pour gagner en confiance. Quand on évalue une équipe, on peut se dire que contre l’Algérie, on peut gagner et cela n’est pas un manque de respect. C’est juste pour se motiver, se booster. Ça n’a rien à voir avec l’origine de l’adversaire, son pays ou son peuple. C’est juste très important de le dire si on veut gagner en confiance. Mais d’un autre côté, on doit aussi savoir que ça risque d’être mal perçu. Je tiens à ce que les gens fassent la différence entre les deux.
Donc si on suit votre raisonnement, les déclarations d’Oliver Kahn qui a dit que l’Algérie n’a aucune chance de battre l’Allemagne, fait partie de la guerre psychologique…
Premièrement, je n’ai pas à commenter tout ce que Oliver Kahn dit dans les médias. C’est son opinion, c’est tout. Par contre, ce qui est plus important à mes yeux, c’est ma propre opinion, puisque les questions de cette interview me concernent personnellement (il sourit). A mon sens donc, une équipe qui a réussi à passer en 8es de finale doit être affrontée avec beaucoup de respect. Et si on veut du concret, il n’y a qu’à jeter un œil à la liste des joueurs algériens, pour constater qu’elle est composée d’éléments qui évoluent dans les championnats d’Espagne, du Portugal et de France.
Selon Capello, le niveau de cette Coupe du monde est le plus élevé de toutes celles qui l’ont précédée. A-t-il raison ?
Je crois que sur le plan physique, c’est une Coupe du monde très difficile, à travers les conditions climatiques et techniquement, très variables, à l’instar du match de l’Algérie contre la Corée, selon la première ou la deuxième mi-temps. C’était très intéressant à regarder. On a vu des équipes changer de tactique en l’espace de cinq minutes. Ce qui est très difficile à réaliser. Le jeu est très rapide en effet et Capello a sans doute raison de dire que c’est la Coupe du monde la plus difficile de tous les temps.
On ne reviendra jamais assez sur ce match entre la RFA et l’Algérie. Vous rappelez-vous des joueurs sur le terrain ?
Oui, Merzekane, je ne l’ai vu que de dos. Pourquoi ? Parce qu’il était tout le temps devant moi. Madjer et Belloumi restent encore dans mes souvenirs, mais malheureusement, dans les plus mauvais souvenirs, puisqu’ils m’ont battu. Ce dont je me rappelle surtout de ces joueurs algériens, c’est qu’ils passaient tous très vite devant moi avant de s’envoler. Ils étaient tellement rapides ! (Il rigole)
De notre côté, on vous avoue qu’on avait très peur de cette équipe allemande…
Merci ! (il se marre)
Surtout de Rumenigge et de vous. Mais avec du recul, on est plutôt fiers, parce qu’on avait battu l’équipe qui a été en finale de cette Coupe du monde. C’était vraiment une grosse équipe cette RFA de 82, non ?
Si on doit comparer l’actuelle Manchaft à celle de 82, je dirai qu’elles sont différentes. Chez nous, il y avait des joueurs qui avaient des statuts de stars ou qui voulaient tout au moins jouer aux stars. Par contre, dans l’actuelle, c’est toute l’équipe qui est star. Chaque joueur est au service de l’autre et donc de l’équipe. C’est ce qui fait qu’elle devient imprévisible. EN 82, nos adversaires se focalisaient sur quelques éléments comme Breitner, Rumennige, Magath…
Votre style de jeu n’a rien à voir avec celui des Allemands. Vous avez révolutionné le foot allemand avec des dribbles, des feintes déroutantes… D’où vous vient ce style ? Qui vous a appris à jouer si bien et si différemment des Allemands ?
Peut-être qu’il y avait Thomas Hassler qui jouait aussi dans le même style, mais pour moi à l’époque, c’était très difficile de jouer de la sorte et d’être accepté. Aujourd’hui, cela aurait été plus simple pour moi parce qu’il y a des joueurs qui jouent dans le même style. J’ai l’impression d’avoir joué 30 ans trop tôt. Aujourd’hui, j’aimerais bien rejouer contre les Algériens afin de leur permettre de prendre leur revanche sur moi (il rigole). Mais c’est vrai que le football a beaucoup changé.
Littbarski ça sonne un peu étranger et votre jeu ne ressemble pas à celui des Allemands, vous n’êtes pas issu d’un couple d’émigrés comme Podolski ?
Moi enfant d’immigrés ! (Il sourit). Non, mon football puise son jeu de la rue. Il y a beaucoup de parallèles entre mon style et celui de l’équipe d’Algérie de 1982, parce qu’on vient tous du football de rue. Le foot de rue t’impose de jouer dans un espace très réduit, sur terre ou sur du sable et quand on avait le ballon au pied, il collait dessus et on ne voulait plus le donner aux autres. (il rit). J’ai en fait grandi dans une ambiance où je défendais le ballon avec des dribbles, des feintes et des buts. Et c’est totalement différent des enfants qui ont été intégrés dans un club très tôt. Moi, jusqu’à l’âge de 9 ans, je n’avais jamais eu d’entraîneur. Mes idoles étaient tous des dribbleurs. J’explique autrement. Quand on joue dans un club, on t’impose un système déjà existant et le jeune se doit de rentrer dans le moule.
Quels étaient vos modèles à l’époque ?
Quand je jouais au foot, je voulais être comme Kevin Keegan ou Johan Cruyjff. On voulait montrer à l’autre qu’on était des stars de la rue. Dans le club, tu n’as pas cela. Tu es obligé de développer un autre football basé sur la tactique.
Sur Internet, on ne trouve presque rien de votre biographie. Dites-nous qui est Pierre Littbarski ?
Je viens d’une famille ordinaire. Ma mère était secrétaire et mon père était musicien. Il était trompettiste de jazz. Peut-être ai-je hérité de ce côté créatif de mon papa. Papa, si tu nous écoutes dans le ciel, je te remercie d’avoir fait de moi un champion du monde.
Avez-vous des enfants ?
J’ai deux garçons de 16 et 11 ans et le plus jeune qui joue absolument comme moi. C’est un égoïste, le ballon lui colle aux pieds et il marque des buts. Il adore le foot et moi, j’espère qu’il va aller de succès en succès, comme ça, je n’aurai pas besoin d’aller travailler (il se marre).
Vous êtes responsable du recrutement à Wolfsburg. Y a-t-il des joueurs algériens que vous ciblez dans votre club ?
Revenons aux choses sérieuses maintenant (il sourit). Je suis responsable du scooting à Wolfsburg et nous travaillons avec succès parce que certains de nos joueurs sont au Brésil avec leurs sélections respectives. Et bien sûr, on a des joueurs algériens qui sont suivis, comme Taïder. On est également en train d’observer de près ce que Slimani est en train de faire. Feghouli aussi est un joueur très intéressant. Mais seulement, le travail d’un scoot doit être accompagné de discrétion, parce que la concurrence ne dort jamais. Le fait qu’on ait des joueurs algériens dans nos listes honore le football algérien et prouve que vous possédez de très bons joueurs.
Déjà que vous avez eu un joueur algérien à Wolfsburg…
Ah oui, Karim Ziani ! Je l’aime beaucoup ce garçon. Je suis désolé qu’il n’ait pas eu le succès attendu chez nous. C’était très difficile pour lui. C’est vrai que ce truc avec le coach, c’est toujours gênant. Il faut que le joueur et l’entraîneur soient d’accord. Ziani est un footballeur semblable à moi. Son jeu ressemble un peu au mien. Je lui ai toujours souhaité le meilleur chez nous. Je crois qu’aujourd’hui, il évolue au Qatar. Je profite de l’occasion pour lui souhaiter bonne chance et le saluer.
Vous nous dites que Ziani joue un peu comme vous ? Mais c’est un beau compliment pour lui !
Non, c’est plutôt un grand compliment pour moi de me comparer au style de Ziani. Mais seulement, Karim, ne le prends pas mal, si tu lis cette interview. Tu dribbles peut-être mieux que moi, tu as un tir plus puissant que le mien, mais statistiquement, j’ai marqué plus de buts que toi.
Vous avez aussi côtoyé un autre Algérien, Alim Benmabrouk…
Oui Alim, c’est un très bon ami. Il m’a invité chez lui en France. Alim, si tu lis cette interview, je te remercie d’avoir été proche de moi, de m’avoir très bien accueilli et d’avoir pris soin de moi quand on jouait au Racing de Paris. Je te remercie ainsi que ta charmante épouse de vous être occupés de moi.
Vous avez raté Madjer au Racing, mais vous le connaissez très bien aussi…
C’est vrai qu’on n’a pas joué ensemble, mais Madjer est un joueur de très haut niveau. C’est du top class level. Naturellement, on suivait ses matchs. Techniquement, il était très au-dessus de la moyenne. Son style de jeu me plaisait beaucoup et c’est aussi une personne très attachante. C’est certainement le footballeur le plus connu en Allemagne.
La plus belle reconnaissance pour un footballeur, c’est de voir les enfants dans le monde entier se faire appeler Littbarski. En Algérie aussi, il en existe beaucoup. Qu’avez-vous à dire à ce propos ?
Je tiens à remercier les gens qui gardent en mémoire mon jeu. Moi aussi, j’aimais beaucoup m’identifier au jeu des stars de mon époque. Mais on doit surtout rester soi-même et ne pas devenir des copies des autres. Il faut toujours savoir affirmer son identité.
Vous avez entraîné aussi en Iran, que retenez-vous de cette culture et de ce pays musulman ?
Quand on vit dans un pays différent de sa propre culture, le problème c’est qu’on a très peu de connaissances de cette culture et, pour connaître les gens, il faut d’abord se donner la peine d’en apprendre un peu plus sur eux. Pour moi, le plus difficile était d’accepter le jeûne durant le mois de Ramadhan, parce que je n’en avais pas compris le sens. Il y a beaucoup de gens qui disent que c’est mauvais, mais c’est parce qu’ils ignorent tout du Ramadhan. Je crois qu’on avance mieux dans la vie avec le respect et l’acceptation de l’autre. Il faut toujours bien s’informer avant de juger. Chose qu’on néglige de nos jours, malheureusement.
A propos du Ramadhan, certains joueurs algériens vont peut-être jouer le match contre l’Allemagne à jeun. Ça va arranger la Manschaft…
Oui, c’est vrai, on est en plein Ramadhan. Il a déjà commencé. Je crois que ça va être un peu difficile pour les Algériens, même s’ils en ont l’habitude. Je crois que ça va être un avantage pour les Allemands.
Maintenant que nous parlons pour la première fois de notre histoire du premier tour au passé, donnez-nous votre avis sur la prestation de l’équipe d’Algérie depuis le début de ce Mondial ?
Eh bien, je qualifierai leur parcours de montagnes russes, faits de hauts et de bas, dans chaque match. Ils ont tenu le coup assez longtemps devant la Belgique. Après, les changements opérés par le sélectionneur les ont déstabilisés. Face aux Russes, ils ont été surpris par une tête imparable, avant de se ressaisir en seconde mi-temps. Leur défense est assez solide, car soutenue souvent par les milieux défensifs. Ils ont par contre connu des situations malheureuses sur les balles arrêtées qui leur ont posé des problèmes.
Quels sont les joueurs qui vous ont plu dans cette équipe d’Algérie ?
Je crois que Feghouli est un joueur très intéressant. Il est très actif et très dangereux devant le but. C’est un très bon joueur. Contre l’Allemagne, je crois que Slimani pourrait s’avérer encore très dangereux car il est pas mal dans le jeu de tête. C’est un joueur auquel il est difficile d’enlever la confiance. Même après 80 minutes de mauvais match, il peut toujours s’avérer dangereux et surprendre. S’il joue le prochain match, il faut vraiment faire attention à lui, notamment dans les situations standard, comme les coups francs, les corners, les retraits après débordements sur les ailes. A mon avis, ce sont les deux joueurs à surveiller de près, car ce sont eux qui ont le plus brillé dans cette équipe.
On va quand même oser cette question. Si vous étiez algérien, qu’auriez-vous fait pour battre l’Allemagne ?
Je crois, et on l’a vu durant cette Coupe du monde, qu’il ne faut pas trop réfléchir sur la tactique. Quand on joue en respectant l’adversaire, la tactique suit automatiquement, mais quand on joue avec la peur, on voit les joueurs se regrouper derrière et subir tout le match. Dans ce cas, ce sera bénéfique aux Allemands qui en profiteront sans se gêner, car leur jeu se fait dans le camp adverse. Il faut savoir réagir. Les Algériens l’ont démontré partiellement. Ils ont un très bon jeu de contre et ils ont su rapidement se replier et revenir en défense. C’est le plus important. Mais respecter son adversaire sans avoir peur augmente les chances. Dans cette Coupe du monde, on voit que tout est possible.
Est-ce que vous savez, vous les Allemands, que nous les Algériens, nous voulons carrément battre les Allemands comme on vous a battus en 1982, ou alors vous allez la jouer hautains comme Oliver Kahn en disant que les Algériens n’ont aucune chance de passer ce cap ?
Les données sont totalement différentes quand on fait une déclaration pareille. On juge uniquement la force individuelle des joueurs. Mais d’où puise-t-on cette force ? On la puise dans les succès du Bayern de Munich en Champions League, de Dortmund, un club avec beaucoup de succès… Naturellement, on peut penser que les joueurs allemands sont avantagés. Mais ceci n’a rien à voir avec un nouveau match qui n’a pas encore démarré sa première minute et qui ira jusqu’au bout avec de nouvelles donnes pour tout le monde. Il ne faut jamais faire l’erreur de sous-estimer son adversaire. Je peux vous assurer que Löw ne commettra pas les erreurs du passé.
Avant de vous libérer, Pierre, pourriez-vous dire un mot sincère aux Algériens ?
Tout d’abord, je voudrais vous dire que je suis très sincèrement désolé, notamment envers les joueurs de 1982 qui, malgré un grand rendement, n’ont pas pu passer au second tour. Naturellement, parce que nous n’avions gagné que par 1 à 0 devant l’Autriche. Je suis désolé pour les cœurs des sportifs qui avaient battu ce jour-là et je souhaite qu’aujourd’hui, chacune des deux équipes mette de côté sa fierté nationale. Je tiens, en tout cas, à vous assurer qu’en 1982, on n’était pas fiers de causer l’élimination d’une aussi belle équipe que celle de l’Algérie et j’espère que l’Algérie entière acceptera mes excuses.
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